Épisode 79 – Attentat
Hjotra pénétra sur la pointe des pieds dans la chambre de
Svorn, un linge humide sur le visage pour ne pas défaillir à cause de l’odeur rance qui planait dans l’air. À l’aide d’un manche à balai, l’ingénieur tapota le haut prêtre pour le réveiller, lui
enfonça le bâton dans les côtes puis finalement dans une narine jusqu’à ce que celui-ci ouvre enfin l’œil.
- « Il y a un monstre sous mon lit », se justifia Hjotra devant le regard enflammé et interloqué de son compagnon
d’aventures.
- « Vous délirez à pleins tubes si vous croyez que je vais me lever pour aller vérifier, mon grand ! J’ai l’air
d’être Arzhiel ou votre nounou ? Regardez-moi dans le blanc des yeux, vous voyez quoi ? »
- « Un vieux nain chauve au regard lubrique ? » proposa Hjotra.
- « Un nain éreinté de fatigue après une journée de marche dans cette région humaine toute pourrie ! Si je vous ai
payé une chambre séparée de la mienne dans cette auberge, c’est pas pour voir votre pomme au milieu de la nuit. Fichez-moi le camp ! »
- « Je peux dormir avec vous alors ? »
Svorn se figea dans son lit et resta silencieux une
seconde.
- « Bon, alors je jette juste un œil sous votre plumard ! » pesta-t-il en se levant pour s’habiller.
« Vous ne m’épargnerez donc rien ! Entre votre caprice à l’échoppe du chapelier pour avoir ce bonnet ridicule et votre cirque à table pour avoir des intestins de lièvre avec votre purée,
j’ai vraiment l’impression de me trimbaler un gosse ! Il va falloir songer un jour à devenir adulte et vous conduire comme tel ! La maturité, voilà ce qu’il vous manque en plus de la
cervelle. Je crois que…Qu’est-ce que c’est que ça dans votre lit ?! »
- « Une naine nue. Je pensais que vous en aviez déjà vu au moins une. »
- « Mais c’est la fille du colporteur qu’on a croisé dans l’auberge ! On lui a parlé deux minutes ! Comment
vous avez réussi à la fourrer…dans votre lit ?! »
- « Je vous expliquerai bien », répondit Hjotra en haussant les épaules, « mais on n’a pas toute la nuit non
plus. Venez voir. Le monstre se cache tout au fond là. »
Médusé par la jeune naine blonde qui le salua d’un geste
timide, Svorn suivit son compagnon et se pencha sous le lit. À sa grande surprise, il aperçut une forme étrange et la poussa à la lumière.
- « C’est mon orc en peluche », intervint Hjotra en le lui arrachant des mains. « Le monstre me l’avait
chipé. »
- « Et ça, c’est quoi ? J’avais bien dit de ne pas apporter de nourriture dans la chambre ! Et je croyais que
vous aviez fini votre purée…Y a un sacré bordel là-dessous mais pas de monstre. Tiens, et ça ? C’est marrant. Ça clignote dans le noir comme la rune d’explosion qu’on m’a volé ce
matin… »
Quand Svorn reprit connaissance après la violente
explosion qui balaya tout le bâtiment, la première chose qu’il aperçut fut Hjotra avec une seule botte, tournant en rond autour d’un cratère fumant. L’auberge avait été soufflée par la rune et hormis
quelques décombres calcinés, il ne restait plus rien de l’établissement.
- « Oh mon dieu ! » s’exclama Hjotra en accourant vers son camarade quand celui-ci se releva péniblement.
« L’explosion vous a brûlé tous les cheveux et les sourcils ! Ah, mais non, je suis bête, ça fait des lustres que vous êtes déplumé. »
- « Il vous manque une botte », balbutia le prêtre, un peu confus. « En plus, vous avez une patate à votre
chaussette, c’est la honte. »
- « Je sais ! » râla l’ingénieur en essayant de cacher le trou. « Impossible de remettre la main sur ma
botte. À tous les coups, le monstre l’a embarqué. »
- « Je n’arrive pas à croire qu’on ait survécu à une rune majeure d’explosion… »
- « En même temps, si votre matos était efficace, ça se saurait. »
- « On a essayé de nous assassiner. Au fait, où est votre copine blonde ? »
- « Elle pendouille là-haut, accrochée à la poutre. Ne vous en faîtes pas, je lui ai déjà demandé pour ma botte. C’est
pas elle qui l’a prise. »
- « Vu ce qu’elle a morflé, on peut de suite l’éliminer de la liste des suspects. Même Rugfid n’en voudrait plus
maintenant. Venez, on s’en va. Celui qui nous en veut va sûrement venir vérifier qu’on y est bien restés. »
- « J’espère que le monstre n’a pas été blessé non plus », déclara Hjotra, suivant Svorn en boitant.
- « Vous avez bien fait de nous contacter », acquiesça Arzhiel à travers le cristal de communication. « Vous
dites que vous n’êtes que légèrement blessés ? Même pas une fracture ou une plaie ouverte ? Quelle brêle ce Teclan ! Remarquez, vu ce que j’envoie à ses trousses, il doit se mettre à
niveau, c’est compréhensible. Hé ! Ne poussez pas le druide ! »
- « Ici, Conleth », dit l’Archidruide en se plaçant devant le cristal à la place d’Arzhiel. « C’est une
information très intéressante. Si Teclan commence à dépêcher ses tueurs, c’est qu’on doit approcher du but. Peut-être même avez-vous découvert sa cachette. Ne bougez pas et ne faîtes rien. On vient
en renfort. »
- « Pensez à prendre des chaussettes neuves ! » lança Hjotra.
- « Silence, bourrique ! » le houspilla Svorn. « Restez où vous êtes le magicien champêtre, on n’a pas
besoin d’un humain. Je ne vais pas me laisser exploser avec mes propres runes sans rien faire. On est en planque devant les ruines de l’auberge. Si Teclan ou un de ses sbires se pointe, on le
fume ! »
- « Arrêtez, malheureux ! Vous ne savez pas à quoi vous vous exposez ! Nous…Ils ont éteint leur cristal !
Les fous ! Arzhiel, y a-t-il un espoir que Hjotra convainque Svorn de ne rien tenter seuls ? »
- « Autant que me voir un jour porter les mêmes guenilles que vous. La dernière fois que Hjotra a réfléchi, c’est quand
il avait gagné un demi-mouton au loto du Karak et qu’il hésitait à prendre son lot vivant ou mort. »
- « Est-il…taré ? »
- « Il n’a pas toujours été comme ça. Mais il n’a plus jamais été vraiment le même après sa disparition. Il prétend
avoir été enlevé par des intra-terrestres sous la montagne et qu’ils ont fait des expériences sur lui. Vous venez ? Y a du gratin de champignons à la cantine aujourd’hui. »
- « On va leur montrer qu’on n’a pas besoin d’eux pour corriger nos ennemis ! » claironna Svorn en balançant
son cristal de vision au loin. « Battre un magicien, ça ne doit pas être sorcier. »
- « Tout à fait ! On a la rage et ils vont payer ! On attend quoi déjà ? »
- « Que le rigolo qui a voulu vous faire sauter les miches vienne vérifier qu’on est bien raides. Dès qu’il approche, on
lui saute dessus et on le caillasse avec mes runes. »
- « Là ! C’est lui ! »
- « Comment vous le savez ? Y a foule ! Vous le reconnaissez ? »
- « Non, mais c’est ma botte qu’il porte. Je la reconnaîtrais entre mille. On voit les papillons et les fées dessinés
dessus d’ici. Bigre ! Il est immense ! »
- « Ce malabar-là, je n’en fais qu’une bouchée ! Hardi ! Sus au meurtrier et au voleur de
botte ! »
- « Alors ? » demanda Arzhiel quand le cristal s’illumina pour refléter le visage de Hjotra. « Vous êtes
toujours en vie ? »
- « Oui et on a eu le méchant. Mais ce n’était pas Teclan. En fait, c’était juste le fiancé de la fille du colporteur
qui était jaloux et voulait se venger. Svorn l’a mis en pièces, ainsi que quinze passants et deux maisons proches se sont effondrées. Les gardes l’ont mis en prison et vous réclament deux mille
pièces d’or de dommages et intérêts. Ah, j’oubliais. Tous les nains du Karak sont interdits de passage dans la région pour le prochain siècle. Vous êtes fâché ? »
- « Revenez à la maison, mon ami », sourit nerveusement Arzhiel, « on débattra de la question en tête à tête,
d’accord ? »